Simplification du Code de la construction : le dénouement approche

Le 16 juillet 2019, le nouveau ministre du Logement Julien Denormandie a reçu un rapport sur la simplification des règles de la construction. « Il existe plus de 4 000 normes dans la construction mais moins de 100 sont d’application obligatoire. Les professionnels n’ont pas connaissance de cela », précisent les deux auteurs de ce travail. On sait que le président de la République veut des résultats en ce domaine selon trois axes, simplifier, dématérialiser et accélérer, ce que le ministre a traduit à sa façon sur France Bleu : « Il faut aller encore plus vite ! »

 

 

La solution du ministre (exposée à partir de 10’40) au manque de logements et particulièrement de logements sociaux consiste à proposer les logements occupés par les parents dont les enfants sont partis à des familles dont les enfants sont encore à la maison… Déshabiller Paul qui n’a plus besoin de sa chemise pour habiller Pierre qui n’en a pas. Une commission se réunira tous les trois ans pour vérifier que les appartements sont « bien » occupés. Avis à ceux qui nous lisent et qui occupent un logement social ! Mais ce qui frappe dans cette interview, c’est que le ministre féru de vitesse reconnaît « que construire ça prend du temps » (à 11’04). La simplicité, ce n’est pas si simple, et la vitesse, ça n’est pas si rapide.

Pour faire vite et simple, comme le préconise Emmanuel (Macron), le rapport dénonce le maquis de règlements qui freine ou freinerait l’élan de construction de logements neufs, une activité économique en crise permanente chez nous. Le jeune ministre résume la problématique et propose une piste :

« Les acteurs (de la filière) doivent se rendre compte de ce qui est obligatoire et de ce qui est volontaire. Je mets au défi les acteurs de cette salle (de faire la distinction). » (Source : batiactu.com)

Selon Denormandie, près d’un quart du Code de la construction pourrait être simplifié. En clair, cela veut dire zappé par les constructeurs, n’en déplaise aux architectes et autres maîtres d’œuvre.

 

Trop de normes ou pas les bonnes normes ?

Depuis que l’Union européenne impose tranquillement mais sûrement ses normes aux pays membres, la législation en matière de logement s’est complexifiée, sans oublier la double exigence relativement récente en matière environnementale et énergétique, qui a encore épaissi le mille-feuilles. Un petit promoteur n’a pas forcément accès à toutes ces lois ou a du mal à les intégrer – ce que souligne Denormandie –, et d’ailleurs certaines ne sont pas appliquées parce que les décrets se font attendre. Il faut presque détenir un diplôme de droit pour trouver son chemin dans les méandres des injonctions, interdictions et autres exceptions. La preuve, sur l’Internet, ce sont principalement les cabinets d’avocats spécialisés en droit de la construction qui décryptent les nouvelles directives gouvernementales. Nous les avons abondamment citées sur ce blog.

Cinq semaines plus tard, le 23 août, le CSCEE (Conseil supérieur de la construction et de l’efficacité énergétique) mettait une dernière touche à la loi ESSOC (loi pour un Etat au service d’une société de confiance) qui comporte justement un volet sur le choc de simplification (des normes de la construction).

Choc de simplification, encore des grands mots, voyons ce que cela recouvre. Ce qui est étrange dans cette affaire c’est que l’Etat pond de la norme à jets continus et se rend compte un jour, sous la pression des professionnels et des syndicats, que le train n’avance plus ou pas assez vite à son goût. La solution serait un code européen incluant toutes les données nouvelles, environnementales et énergétiques, mais dans ce domaine, les évolutions vont hélas plus vite que les textes et le législateur, qui passe son temps à courir derrière. Et nous allons voir que ces « normes » peuvent se superposer ou s’entrechoquer.

 

Normes négatives et normes positives

Alors devant ce nouveau maquis de normes (labels et certifications, nous allons y venir) qui s’ajoutent aux anciennes (sismiques, thermiques, acoustiques, incendie), il n’y a plus qu’une solution : désencadrer en douceur le secteur, assouplir les règles, desserrer le nœud juridique. C’est l’objectif gouvernemental à peine caché, et la seule solution pragmatique trouvée pour le court terme. Cela ne veut pas dire que tout le monde pourra construire n’importe où n’importe comment, mais le résultat primera le moyen, ou la manière.

La loi ESSOC du 10 août 2018 prévoit dans l’article 49 la possibilité au maître d’ouvrage de déroger à certaines règles de construction à la condition d’apporter la preuve qu’il parvient, par les moyens qu’il entend mettre en œuvre, à des résultats équivalents à ceux découlant de l’application des règles auxquelles il est dérogé et que ces moyens présentent un caractère innovant.

Dernièrement, par exemple, l’obligation de fournir un minimum de 20 % d’accès handicapés dans les constructions nouvelles a été quelque peu écartée des textes : de 2005 (date de la loi Handicap) à 2018 (date de la loi ELAN – Evolution du logement, de l’aménagement et du numérique, voir les articles de Libel ici), on est donc passé d’une obligation de 20 % de logements accessibles aux personnes à mobilité réduite, à un petit 8%. Le reste du parc étant « évolutif » par le moyen de « travaux simples ». En gros, si vous voulez un accès handicapé personnalité, faites-le vous-même, et on vous aidera. Cette mesure coercitive impliquait pour certains professionnels trop de contraintes pour un résultat pas toujours adapté aux habitants. Les associations d’handicapés ont crié, la caravane gouvernementale est passée…

 

 

Concrètement, qui y a-t-il de changé dans le Code de la construction ?

Un exemple pratique, paru dans le JO du 23 août : une administration aura deux mois pour répondre à certaines demandes, au-delà ces dernières seront acceptées de fait. Cela concerne – on l’a déjà traité sur Libel – les permis de construire des particuliers déposés dans les mairies.

Passons maintenant de Libel aux labels, sans faire de jeu de mots, le gros morceau de cet article. La grande nouveauté de ces dernières années, ce sont les labels et les certifications. D’abord, une définition :

« Le label est une marque spéciale conçue par une organisation publique ou privée (syndicat professionnel, organisme parapublic, ministère, association…) pour identifier et pour garantir soit l’origine d’un produit soit/et un niveau de qualité. »

Tous les consommateurs connaissent les labels principaux de l’agro-alimentaire, Rouge pour la viande, Ecocert (un organisme de contrôle et de certification privé), AB (Agriculture biologique) pour le bio, et plus anciennement AOC (appellation d’origine contrôlée) et AOP (le AOC européen).
Dans le domaine de la construction, les choses sont plus complexes, car les labels se chevauchent au cœur d’un même pays et entre les pays de l’union européenne, sans compter les labels privés (émanant de grandes entreprises, par exemple effinergie +, BEPOS effinergie 2013, Bâtiment basse consommation Prioriterre RT2012, et même étrangers comme Minergie ou Passiv’haus)…) et les labels étatiques.

Si le grand public commence à mieux connaître le HQE – haute qualité environnementale – qui agrémente les nouveaux (éco)quartiers, notamment à La Joliette à Marseille et Confluence à Lyon, il n’a pas encore idée du foisonnement, presque du désordre en cours. Mais toutes ces pré-normes (elles ne le sont pas encore mais rêvent de le devenir) ont pour objectif des constructions innovantes pour l’extérieur et l’intérieur, propres au niveau environnemental, peu coûteuses en énergie et durables.

 

 

Une avalanche de labels

Les labels qui commencent à entrer dans la mémoire collective sont NF Habitat (pour les constructions individuelles), et les labels de performance énergétique, HPE et THPE. Le label RT 2012 correspond à la réglementation thermique de 2012 qui remplace celle de 2005. La mise aux normes du parc privé français est l’un des grands chantiers des années à venir : 8 millions de logements seraient des passoires thermiques… Un article du Monde se demande si tout ce parc pourra être rénové avant 2050… Car la loi (énergie-climat) qui se prépare ne sera pas contraignante. Les procès entre logeurs et logés ne sont pas près de s’éteindre…

Petite info en passant, le futur label RT 2020 récompensera les ouvrages qui produisent plus d’énergie qu’ils en consomment ! Ce sera la pointe de la technologie propre.

 

 

S’il n’y avait que les labels, ce serait simple. Mais il y a les certifications. La différence ?
Le label garantit un niveau de qualité supérieur selon un cahier des charges donné. Le label peut être produit par une marque, une association ou un syndicat professionnel. La certification est une démarche précise, encadrée par la loi, qui vise des produits, des services ou des entreprises. Elle atteste qu’un produit ou un service est conforme aux normes en vigueur. Ajoutons que la certification, produite par un organisme certificateur, est validée par le Journal Officiel, ce que le label n’est pas : on a vu qu’il pouvait être d’origine privée. Nous allons revenir plus en détails sur les certifications plus bas.

Si l’on peut se perdre entre les normes, labels et certifications, ce sont malgré tout des garanties de qualité qui permettent de valoriser les nouveaux bâtiments et d’attirer investisseurs, entreprises et locataires. Un bâtiment HQE dans un écoquartier qui mêle habitants en mixité sociale et start-ups branchées, c’est le top du marché de l’immobilier. Mais il ne s’agit pas que de prestige : occuper des bureaux dans une tour HQE équivaut à diminuer de manière conséquente sa facture énergétique, qui plus est sur la durée. On le voit par exemple avec la tour Part-Dieu (ou tour crayon), bâtie de 1972 à 1977, qui est devenue une catastrophe thermique, phonique et pratique. Economiquement, elle n’est déjà plus viable, alors qu’elle n’a pas 45 ans ! Elle est peu à peu remplacée par la tour Oxygène, sa sœur jumelle.

 

La course à la qualité

L’industrie de la construction bénéficie donc d’une concurrence saine par le haut, qui augmente naturellement la qualité des ouvrages. En gros, et les matériaux, et les entreprises et donc a fortiori les constructions qui vont de l’ouvrage au quartier entier pourront bénéficier d’une certification ou d’un label, par exemple RGE, reconnu garant de l’environnement. Là-dessus s’ajoutent les labels étrangers, qui ne sont pas forcément européens : à côté du français HQE (qui concerne 35 % des nouveaux bureaux) on trouve l’américain LEED (Leadership in Energy and Environmental Design), le britannique BREEAM (Building Research Establishment Environmental Assessment Method) ou l’allemand DGNB (Deutsche Gesellschaft für Nachhaltiges Bauen).

Entre « garant de l’environnement positif », « efficacité énergétique », « énergie positive », « basse consommation », « qualité de vie », « réduction carbone », « bâtiment connecté », « éco-responsable », « éco-performant », éco-ci éco-ça, les dénominations explosent et le professionnel peut s’y perdre. Et quand il y a plusieurs labels ou certifications, auquel se fier, qui croire ? Le nouveau Code de la construction ne le dit pas encore, mais il semble que le gouvernement incite à plus de libéralisme – ou de débrouille – dans le secteur.

 

La certification des bâtiments ou le label bio de la construction

Pour bien cadrer cet assouplissement des règles, qui restent toujours écrites – enfin, on verra ça dans le nouveau CC –, il y a ce qu’on appelle les certifications. Qu’est-ce qu’une certification ?

Cela sanctionne si un produit est conforme à un cahier des charges. Le bâtiment vert, ou bâtiment durable, résume cette exigence de mieux-vivre qui se répercute sur le cahier des charges. Il ne s’agit plus seulement de mettre une brique sur l’autre, mais de penser aux habitants et à la durabilité de la construction, à l’environnement et au climat. Cela fait beaucoup, mais dans les « HQE » cela commence à avoir de l’impact. Aujourd’hui on appelle ça un « logement convenable », avant on parlait de « logement décent », mais cela n’a jamais été inscrit dans le marbre de la loi. Un particulier ne pouvait pas, à moins de ne plus pouvoir y vivre sans danger pour sa santé ou sa vie, facilement se retourner contre un propriétaire si son logement était déclaré « non décent ». Le concept de décence est dit non contraignant.

 

 

On le voit, on simplifie d’un côté, mais on ajoute de la certification de l’autre (qui n’est pas obligatoire, soulignons-le), même s’il s’agit d’une évolution vertueuse. Notre question est la suivante : les nouveaux logements sociaux que Denormandie veut construire à toute vitesse en zappant un maximum de règles, au-delà des 40 000 déjà construits (à vérifier), intégreront-ils un peu des nouvelles normes environnementales et énergétiques ?

Le débat, en réalité, porte sur le fait qu’il y a deux sortes de normes, les positives et les négatives, celles qui améliorent la vie des habitants et celles qui bloquent les constructeurs. Il faut alors trouver un terrain d’entente entre les deux besoins. Tout dépend de quel côté de la barrière professionnelle on se place. Ces normes ne sont pas toujours raccord et surtout, tout le monde n’a pas la même définition d’une norme positive, ou utile ! Une vieille dame qui a du mal à se déplacer, handicapée à 50 %, verra d’un bon œil la construction d’un accès handicapé à son nouveau logement, avec en plus des matériaux qui garantissent une faible déperdition de chaleur en hiver. Mais la construction ne fait pas du cas par cas. Pour l’instant, c’est aux gens à s’adapter aux constructions, qu’elles soient anciennes ou neuves.

 

Un Grenelle de la construction

En réalité tout ce processus vertueux ne date pas de Macron-Denormandie, il remonte à 2007, avec le Grenelle de l’environnement de Jean-Louis Borloo, qui a d’ailleurs inspiré Denormandie. Il était établi à l’époque qu’il fallait promouvoir l’écoconstruction à l’horizon… 2020. Et c’est en 2020, le 10 février pour être précis, que Denormandie attend sa seconde ordonnance, c’est-à-dire le texte définitif. Le Code de la construction sera alors tout neuf, et nous verrons si les 20 ou 25 % de normes « en trop » seront remplacées dans la pratique par les nouvelles certifications et labels, et surtout, si ce travail va déclencher un « choc » de construction.

Pour les curieux, la première ordonnance de la loi ESSOC a été publiée le 30 octobre 2018 (voir l’article dédié ). Il s’agissait de 18 mois de « test » pour les maîtres d’ouvrage qui vise à prouver qu’on peut atteindre les mêmes résultats avec des moyens différents (ou innovants), dans le respect des textes bien sûr, mais avec quelques dérogations. La seconde ordonnance concerne, en s’appuyant sur ce test grandeur nature, la réécriture du Code, afin que les articles de loi soient mieux adaptés au réel. Du côté des maîtres d’ouvrage, dès qu’une solution innovante aura été trouvée, elle sera certifiée par un organisme de contrôle technique d’Etat.
Naturellement, les décisions se prennent (théoriquement) en concertation avec tous les acteurs du milieu : parlementaires, collectivités territoriales, professionnels, syndicats, associations, fédérations, personnalités…

 

En conclusion de ce sujet, on comprend, avec les nouvelles orientations politiques et technologiques du milieu, que la construction est aujourd’hui un peu bicéphale en France : on doit construire vite et pas cher en sautant par-dessus les normes pour une population en demande de logements (sociaux ou pas), et de l’autre côté de la barrière sociale, on voit fleurir des quartiers de logements et d’affaires (hybrides donc, mêlant habitants et entreprises) nantis des normes les plus exigeantes en matière esthétique, énergétique, acoustique, connectique, environnementale, climatique.
Espérons que cette course à la qualité tire aussi les constructions d’en bas vers le haut.