Les passoires thermiques ou la guerre propriétaires/locataires

À une époque où tout le monde parle de climat – sauf Donald Trump, qui préfère les centrales à charbon et le pétrole de l’Alaska –, et donc d’énergies fossiles, d’énergies renouvelables, de la fin du pétrole, de la facture d’électricité, de la fin plus ou moins programmée du nucléaire, et le développement des énergies de remplacement, les 7,2 millions de foyers de Français locataires attendent une chose : un petit coup de pouce gouvernemental pour renforcer l’isolation de leur logement. Car le chauffage coûte de plus en plus cher, et il ne fait pas encore 50 degrés dehors (ou 45,1 le 28 juin de cet été pendant la canicule à Villevieille, dans le Gard, record battu).

Le parc locatif français est globalement ancien (la France, Normandie mise à part, n’a pas été lourdement bombardée et entièrement reconstruite comme l’Allemagne ou les Pays-Bas après 1945, pays très en avance en matière de bâti écologique) et a surtout peu suivi les évolutions technologiques depuis 50 ans en matière d’isolation thermique.

 

Un parc trop ancien qui génère des conflits permanents

A part la modernisation des convecteurs électriques, la généralisation du double vitrage et l’amélioration des matériaux isolants sur les murs, peu de progrès ont été appliqués par le parc locatif privé pour contrer l’effet désastreux des passoires thermiques. Dans le 93, à Aubervilliers, ex-ville ouvrière, par exemple, nombre de maisons sont construites en mâchefer, le matériau le plus vil qu’on puisse imaginer. Le problème, c’est que la faute n’incombe à personne : les propriétaires ne sont pas des capitalistes richissimes, l’écrasante majorité d’entre eux sont des petits épargnants qui ont soit hérité d’un bien, soit patiemment investi dans la pierre pour un placement (une rente de location), pour leurs enfants ou pour majorer leur retraite.

Ce revenu supplémentaire tiré des loyers ne permet pas toujours de faire 40 000 euros de travaux pour changer un toit (tous les 40 ou 50 ans) ou refaire toute l’isolation extérieure des murs. Parfois, il faut en passer par une procédure pour qu’un propriétaire change des fenêtres trop fines. Certains préfèrent alors ne pas louer leur bien, le conservant comme une épargne.

C’est ce qui a fait changer d’avis Macron – et incidemment son ministre (de la Ville et du Logement) Julien Denormandie – qui avait pourtant assuré que les logements indécents du point de vue thermique seraient interdits à la location à partir de 2025. Ce recul politique assez courant, qui consiste à produire un effet d’annonce électoraliste et à revenir dessus, a soulagé les petits propriétaires qui n’auraient pas pu faire face à une telle dépense, ou qui auraient perdu plusieurs années de loyers dans de tels travaux de rénovation.

 

 

Désormais, et le sujet de France 3 l’explique, l’injonction se transforme en simple obligation de travaux à partir de 2028, et encore, il ne s’agit pas forcément de « gros œuvre ». Derrière ce revirement, il y a bien la crainte de voir encore plus de logements échapper au marché de la location, la France étant un peu la championne européenne dans ce domaine.

C’est ce qu’on appelle un effet paradoxal : si le gouvernement pousse trop dans le sens des locataires, le marché de la location se contracte, et les locataires en payent le prix ! Les statistiques officielles récentes (2018) donnent 23 % de logements vacants sur les 375 000 disponibles chaque année. Ainsi, pour des raisons de commodité (appartement conservé pour la famille, désaccord familial sur la location, mauvaise expérience avec des locataires indélicats) ou fiscales (incitations trop faibles, bénéfice limité en cas de rénovation obligatoire, peur des locataires procéduriers), près de 90 000 logements échappent aux locataires et produisent la tension que l’on connaît.

Ce sont les villes petites et moyennes qui sont le plus touchées par cette vacance de logements, avec une moyenne haute de 15 % dans la France dite périphérique, qui est en fait la France intérieure. Au contraire des grandes villes où la pression est moitié moins forte, ce qui explique la continuelle migration intérieure du pays profond vers les grandes conurbations, vidant encore un peu plus cette France centrale au profit des grandes villes qui se situent à moins de 100 km des frontières ou des mers.

La vidéo suivante n’illustre pas ce propos puisque le cas de la capitale est spécial : Paris est une ville totalement saturée à tous points de vue ! Le taux de rotation du logement social y est de 3 % seulement, nous apprend Europe 1 dans la vidéo plus bas. Traduction : 3 logements sur 100 seulement sont accessibles aux nouveaux arrivants sur le marché…

 

 

Avec la loi ELAN, que nous avons étudiée en détails ici et , le gouvernement (Edouard) Philippe a tenté de réconcilier ces deux camps, les propriétaires des presque 400 000 logements vides annuels, et les 6 000 000 de Français mal logés ou en difficulté pour se loger. Tout le monde a en tête les manifestations de DAL (Droit au logement) et les discours alarmistes des représentants de la communauté Emmaüs.

1 700 000 ménages – dont un demi-million de familles occupant déjà un logement HLM mais qui demandent plus grand – attendent un logement social (sur un parc de 4,3 millions de logements locatifs) d’après Louis Gallois :

 

 

ELAN possède un volet qui se propose de rétablir la confiance entre propriétaires et locataires en incitant à la location par le bail « mobilité » qui consiste à louer pendant un an ou moins, une prestation provisoire qui rassure grâce à la garantie Visale. En gros l’Etat sert de juge de paix entre le locataire et le bailleur. D’un côté il gère le problème de la caution, qui pénalise beaucoup de jeunes, de l’autre il garantit la rentrée des loyers. 165 000 bailleurs ont déjà souscrit à ce système. Mais le gouvernement compte surtout sur la simplification du Code de la construction pour booster la création d’appartements. D’après les spécialistes, ce train de mesure ne donnera pas de résultats tangibles à court terme.

Un reportage sur les logements vides, un « scandale » français :

 

 

Cet été, à la mi-juillet, les sénateurs se sont divisés sur la loi « énergie » qui prévoyait d’accompagner les propriétaires dans la rénovation. Une majorité d’entre eux, comme l’écrit le site actu-environnement.com, a voté pour que les passoires soient interdites à la location. Définition de la passoire thermique : un classement F ou G sur l’échelle de performance énergétique, qui concerne 30 % du parc locatif privé ! L’affaire est donc très sensible.

Alors que le ministre du Logement comptait inciter (et non forcer) les propriétaires à remettre leur logement aux normes actuelles, quitte à les aider financièrement par une série de mesures fiscales, les sénateurs ont abattu leur hache sur l’annonces gouvernementale. Une semaine plus tôt, les sénateurs votaient pourtant un dispositif incitatif, autrement dit une certaine mansuétude vis-à-vis des propriétaires. Ils ont fait volte-face après débats et durci le ton : on ne loue pas de passoires thermiques, ce qui signifie peut-être qu’ils ne croient pas dans les vertus de l’incitation civique.

 

Bataille autour de la définition du logement décent

Justement, cet article rappelle que le bâti haussmannien à Paris est majoritairement F et G, et l’on comprend mieux le début du reportage (de 30 minutes) avec ces bâtisses que les propriétaires préfèrent ne pas louer : eux sont plutôt très solvables, et préfèrent ne pas toucher de loyers plutôt que de faire face à de gros travaux de rénovation. Simple calcul qu’il n’est pas facile de contrer. Les sénateurs opposés à ce vote ont argué que cela ferait perdre des millions de logements au moment où les Français en ont le plus besoin, augmentant encore une tension démographique qui n’en avait pas besoin.

Le dilemme devient : doit-on faire baisser cette tension sur la marché locatif en laissant des propriétaires louer des passoires énergétiques, ou doit-on les pousser à remettre ces dernières aux normes au risque de voir la tension monter d’un cran ? Cela revient à choisir les locataires contre les bailleurs ou les bailleurs contre les locataires ! Et là, le débat se transforme en une question électorale que les responsables du « big data » de Macron doivent étudier avec précision… En France, tout finit en calcul électoral, même les questions les plus graves !

Pour finir, les sénateurs se sont entendus sur des dérogations pour les propriétaires de logements F et G afin qu’ils mettent leurs biens en conformité. Sinon, ce sont les locataires un peu avisés qui peuvent s’en charger : le juge sera forcément de leur côté, puisque la loi peut forcer un propriétaire, quels que soient ses moyens, à effectuer les travaux de rénovation. Sinon, le loyer sera réduit et le locataire pourra même toucher des dommages et intérêts ! On comprend alors la timidité de ces centaines de milliers de propriétaires dont au moins un tiers, si l’on se fie aux statistiques nationales, possède un logement dit indécent.

La bataille fait rage en haut lieu et dans les prétoires, puisque beaucoup de Français se tournent vers la justice pour obtenir satisfaction : des propriétaires qui ne sont pas ou plus payés, et des locataires qui jugent leur location indécente. C’est désormais à partir de 2028 que les travaux devront commencer, et pour de bon. Rendez-vous dans (presque) 10 ans, pour voir qui aura gagné le bras de fer.

 

Que risque le propriétaire qui loue un logement insalubre ?

Le site service-public.fr détaille toute la batterie de sanctions qui planent sur les propriétaires de logements indécents. Sans prendre parti pour un camp ou un autre, dans ce domaine délicat, la loi française est en pratique peu ou pas appliquée.