Les architectes vent debout contre la loi ELAN !

Pourquoi cette fronde contre la loi ELAN (Evolution du logement, de l’aménagement et du numérique), une loi qui est pourtant faite pour libérer l’activité, équiper les Français, des plus riches aux moins riches, de logements mieux conçus, plus durables ? Les architectes seraient-ils contre le progrès, ou la loi cacherait-elle quelque intention douteuse ?

Si la chaîne gouvernementale Philippe-Mézard-Denormandie (Premier ministre, ministre du Logement, secrétaire d’Etat) annonce qu’elle veut construire «mieux, moins cher et plus vite» (voir l’article sur la simplification du code de construction), des professionnels de l’architecture pointent les effets pervers de cette planification forcée à la française.

Philippe Laurent, le président de l’Ordre des architectes, dénonce dans une lettre la centralisation de la décision – très jacobine – au détriment des édiles locaux. Selon lui, les « gros » acteurs du marché ne peuvent remplacer les « petits », dont les élus locaux, qui n’ont plus vraiment leur mot à dire dans ce qui les concerne pourtant au premier chef : la loi ELAN leur passerait au-dessus de la tête, un peu comme la fin de la taxe d’habitation mettrait les maires des petites communes en grandes difficultés financières.

Le pouvoir, toujours, reste à Paris. Mais tout le monde n’est pas d’accord. En cela, il y a continuité avec les gouvernements précédents, alors que le duo Macron-Philippe communique sur la «rupture»…

De rupture, il y en a beaucoup, et de négatives dans la loi ELAN pour Philippe Laurent. Se dessinent selon lui les professionnels (de l’architecture) comme des empêcheurs de construire en rond, c’est-à-dire rapide et pas cher. Une normalisation immobilière qui passerait, telle un bulldozer, sur les particularités du patrimoine français. Qui sont pour une bonne part dans la richesse nationale, et qui sont à l’origine du succès de l’industrie touristique de notre pays, première destination du monde.

C’est sur le «citius, altius, fortius» («plus vite, plus haut plus fort», la devise olympique des Grecs) que le président de l’Ordre peste. Premiers visés, selon lui, et sacrifiés, les cabinets d’architectes, qui ne pèseraient pas lourd face à « l’industrialisation » rampante du secteur… Extrait :

On comprend l’intention générale, qui est d’alléger des procédures considérées comme trop lourdes et de réduire les délais de fabrication. Pour ma part, avec quelques décennies d’expérience, je ne pense pas que, concrètement, l’objectif poursuivi sera atteint, car la réduction opérée sur le temps, entendue de cette façon, ne touchera pas les «bons moments».

La preuve, l’échec de la politique des «grands ensembles» des années 60, où il fallait loger vite, pour pas cher, et les enfants du baby boom, et les rapatriés d’Algérie (plus d’un million d’un coup). Conclusion : le plan gouvernemental va se faire au détriment de la qualité, car il y a toujours un perdant. «Vite» et «pas cher» supposant «moins bien».

Pour Laurent, on ne peut pas passer sur la loi MOP (maîtrise d’ouvrage publique), cette chose qui suppose la concertation avec l’environnement politique et urbain, c’est-à-dire les gens et leur intérêt propre. On appelle ça « la politique de la ville », et elle s’oppose souvent à la politique de construction à outrance. Et surtout, elle ne peut pas se décider seulement à Paris, sauf pour les budgets. La décentralisation est un fait : la mayonnaise ne pourra pas rentrer dans le tube aussi facilement.

Deux forces se font donc face : d’une part le gouvernement et son empressement à loger plus de monde plus vite, de l’autre les acteurs incontournables du milieu pour qui toute accélération – passer au-dessus des normes et des particularités locales – est synonyme de risque.

Plus globalement, en sortant du cas du président de l’Ordre, la profession insiste sur la qualité qui ne doit pas être la variable d’ajustement d’une politique à marche forcée. Surtout pour ce qui concerne le logement social, dont on a vu les résultats après 30 ans de la production de masse, et son cortège de conséquences sociales dramatiques… Un dossier explosif dont la France paye encore le prix, de réparation urbaine en réparation sociale. Si l’on pourra effectivement construire «plus vite et moins cher», on ne pourra pas construire «mieux».

Et comme le couple Macron-Philippe veut aller vite en tout, la loi sera débattue à l’Assemblée fin mai (2018) puis présentée au Sénat. Elle sera prête pour l’été. Le démantèlement de la MOP fait débat : pour aller plus vite, on sacrifie le concours d’architecture pour les bailleurs sociaux. Fin du consensus, vitesse oblige. Seul le résultat compte.

Les parties non consultées par le gouvernement se sont données rendez-vous le 17 mai pour «une journée nationale d’actions et de débats». Il s’agit des bailleurs sociaux –  qui voient leur prérogative fondre –, les élus locaux, les promoteurs, les professionnels de la construction et de la maîtrise d’œuvre, et enfin les associations d’habitants, qui sont toujours en bout de chaîne et qui aimeraient bien savoir à quelle sauce ils vont être mangés par ce… énième plan urbain venu de Paris.

Plus concrètement encore, pour les OLS (organismes du logement social), des temps plus durs se préparent : la baisse programmée des APL (aides au logement) obligera les bailleurs sociaux à renoncer à plus de 800 millions… sauf s’ils refusent de répercuter la baisse, ce qui devrait provoquer des émeutes chez les locataires de HLM !

Conclusion : la simplification, c’est pas simple !

 

Illustrations freepik : illustration 1, Illustration 2