Les sénateurs adoptent la loi ELAN… en soignant les maires

Qui sont les gagnants et les perdants de la loi ELAN (Evolution du Logement, de l’Aménagement et du Numérique) revue et corrigée mercredi 25 juillet par les sénateurs ?

On rappelle la polémique : grosso modo, pour les « sociaux », cette loi est une déréglementation qui menace les acquis sociaux (la qualité des HLM) et qui ne résoudra nullement les disparités du territoire (banlieues pauvres/villes riches), tandis que pour les « libéraux », ELAN va permettre de construire plus vite et moins cher. Les sénateurs ont globalement validé le texte de leurs confrères députés, mais sans déposséder les maires de leur pouvoir. Or ce sont, entre autres, les élus locaux qui votent pour les élections… sénatoriales. On reconnaît bien là une démarche politique !

Cette Chambre, qui symbolise l’équilibre des pouvoirs en France, valide ou amende les textes venus de l’Assemblée nationale. Et comme le statut de sénateur est par définition plus durable (il y a des sénateurs à vie) que celui de député, on y respecte mieux les pouvoirs locaux. Ça tombe bien, les maires voyaient d’un mauvais œil cette loi changer leurs habitudes. Non pas que les maires de 36 000 communes de France (autant que dans toute l’Union européenne) soient contre le logement social ou respectant les accès pour handicapés, mais les nouvelles dispositions stipulaient que l’urgence de la construction sociale commandait de sauter par-dessus le pouvoir local et la concertation. Les réunions avec les architectes, associations, habitants, étant considérées comme des freins au bâti « rapide et pas cher ».

Ce qui se jouait au Sénat, c’est le retrait du permis de construire aux maires. La loi ELAN proposait que les maires n’entrent pas dans la négociation de la vente des logements sociaux… Les sénateurs ont dit stop au gouvernement, du coup les fonds privés en embuscade attendront. Par ce biais, les macronistes entendaient ouvrir la possibilité au parc privé de grignoter les parties juteuses du parc public…

L’autre partie de la loi qui faisait polémique, c’est la question de l’article 55 de la loi SRU : celui qui oblige les villes de plus de 3 500 habitants à posséder au moins 25% de logement social avant 2025 (il reste 7 ans pour se mettre en conformité… ou payer des amendes, comme Neuilly). Les députés LReM ont repoussé l’échéance à 2030, histoire d’éviter que le gouvernement Philippe impose cette mesure pas toujours populaire aux habitants, parce qu’il y a une réalité : tout le monde ne veut pas de logement social à côté de chez soi… Idem avec les prisons !

Petite souplesse accordée, les communes modestes pourront se regrouper pour respecter le quota de logement social en jouant sur l’intercommunalité : les sacro-saints 25% pourront être une moyenne sur plusieurs villes limitrophes.

Le secrétaire d’Etat Julien Denormandie, invité de Public Sénat le 13 juillet, évoque la fameuse « fracture territoriale ». Notez la partie sur les « architectes vent debout contre la loi ELAN » à partir de 6’51, où le journaliste en plateau reprend le titre ainsi que le contenu de l’article de LIBEL !

C’est à partir de 8’02 que le sous-ministre, sous la question, commence à transpirer :

« Les architectes sont une profession dont nous avons besoin, tout projet doit avoir un architecte. Et ça je le dis et je le réaffirme, on n’y touche en rien ! En revanche, aujourd’hui quand vous êtes un bailleur social, parce que vous êtes un bailleur social, l’Etat, le droit pardon, vous dit eh ben vous devrez prendre un architecte comme tout le monde, mais la façon que vous aurez de travailler avec cet architecte, on va aussi le définir par la loi, là où les autres opérateurs n’auront pas ce côté figé. Et moi ce que je dis c’est que dans la société d’innovation, dans la société de mouvement, mobilité, d’agilité, eh ben je ne pense pas que le trois, le droit doive imposer des relations entre les uns et les autres. »

Les architectes, moins concernés par les calculs politiques, sont donc les perdants de cette ratification sénatoriale : les bailleurs sociaux ne seront plus obligés de passer par le concours d’architecte. Son maintien était la revendication principale de la corporation, qui insistait sur l’importance de la qualité et de la durabilité des projets passés par le fameux concours. Dès lors, c’est la porte ouverte aux constructions « sauvages », pour peu que les maires laissent la main aux constructeurs qui sauront être… persuasifs.

En résumé, on peut dire que les grandes entreprises du BTP ont gagné, de gros contrats se profilent ; les maires conservent une partie de leur pouvoir local ; seuls les architectes n’ont pas obtenu gain de cause. Il est intéressant de noter qu’au moment où le Danemark, face à des problèmes de ghettoïsation, bannit toute concentration de population socialement homogène, la France remet le couvert de la construction rapide comme il y a 50 ans, ce qui nous éloigne de la « mixité sociale » chère à nos politiques.

C’est à la rentrée, en septembre, qu’une commission paritaire réunira les textes des deux assemblées pour en faire un document final qui ne souffrira plus de contestation. Ensuite, tout se passera au niveau local, puisque le gouvernement n’a pas pu faire passer son « Agence nationale de la cohésion des territoires », un machin technocratique qui devait permettre de centraliser toute l’opération, et qui signifiait la fin du pouvoir local en matière de construction publique.