Le pari de la loi ESSOC
Rappel : ESSOC = État au service d’une société de confiance
Elle prétend simplifier les rapports entre les entreprises et l’administration, et rendre le droit de l’urbanisme plus clair. Faire confiance et faire simple, dit le texte de loi d’août 2018. L’administration fait un pas vers les entreprises (et les particuliers) en leur accordant plus de confiance, notamment en cas d’erreur ou à propos des règles, sachant que les règles, ce n’est pas ce qui manque en France.
La France ou le pays aux 400 000 normes et 10 000 lois !
C’est promis (dans la loi) : il n’y aura édiction de nouvelle norme que si elle est strictement nécessaire et si elle permet la réduction des délais administratifs.
L’Ordre des architectes résume les 5 points principaux de la loi ESSOC :
• le permis de faire
• l’autorisation environnementale
• la procédure de rescrit (voir le premier sujet sur ESSOC)
• la simplification des démarches administratives des entreprises (sujet sur la démat)
• le droit à l’erreur (voir le premier sujet sur ESSOC)
Le permis de faire, qu’est-ce que c’est ?
Eh bien, comme son nom l’indique, c’est une autorisation de passer entre les gouttes des normes de construction qui, on le sait, sont plus nombreuses que les gouttes de pluie. Impossible de passer à travers sans se mouiller, c’est-à-dire sans trébucher et se faire houspiller par l’administration. Depuis la loi ESSOC, le maître d’ouvrage peut sauter par-dessus certaines règles si le résultat final respecte le Code de la construction. Dit comme ça c’est un peu obscur parce que le Code de la construction est fait de règles, mais c’est le principe de fonctionnement du permis de faire.
Si un maître d’ouvrage s’affranchit des règles X et Y, et que le résultat est satisfaisant, alors l’administration passe l’éponge sur ces deux entorses au règlement. Le problème, c’est qu’on ignore si le résultat sera convenable quand on s’engage dans une nouvelle procédure de construction. Il faudra le prouver sur le papier et pendant la construction en question. Si les moyens utilisés sont innovants d’un point de vue technique ou architectural, dit le texte de loi, et si le résultat est convaincant, alors le procédé pourra être réutilisé par d’autres, faire en quelque sorte jurisprudence (voir en fin d’article comment tout cela fonctionne précisément).
L’article 26 habilite le Gouvernement à instituer, par ordonnances, un « permis de faire » dans le domaine de la construction. Il s’agit d’un renversement de l’approche qui à une obligation de moyen oppose une obligation de résultat. A condition toutefois que la dérogation aux règles de construction soit justifiée par le maître d’ouvrage en apportant la preuve que ces moyens alternatifs présentent un caractère innovant pour un résultat équivalent. L’évaluation de ces moyens innovants devra être réalisée dans un cadre impartial, et en délègue les modalités au Gouvernement (Le Macronomètre).
L’autorisation environnementale
Mais la loi ESSOC ne se limite pas au permis de faire, elle met en pratique l’autorisation environnementale. Il s’agit là encore de simplifier les normes dans le domaine des constructions qui peuvent impacter l’environnement. En cas de danger pour la sécurité publique, par exemple une inondation, l’ouvrage prévu doit faire l’objet d’une autorisation environnementale. Mais la procédure était lourde et complexe. Alors l’Etat a décidé, dans certaines régions test, de faire participer le public par voie électronique : cela tiendra lieu d’enquête publique.
Une des autres parties importantes du changement ESSOC c’est le droit à l’erreur. Par exemple, en cas de dépôt de dossier pour un maître d’ouvrage quelconque, si une pièce manque dans l’ensemble (si possible dématérialisé), alors le maître d’œuvre ou l’entreprise candidate ne seront théoriquement plus punis : ils pourront renvoyer la pièce manquante et leur bonne foi suffira pour que l’administration concernée l’accepte (la pièce, pas la bonne foi) et complète le dossier au lieu de l’éliminer. C’est tout le charme de l’article L114-5-1, mais sous certaines conditions :
L’absence d’une pièce au sein d’un dossier déposé par un usager en vue de l’attribution d’un droit ne peut conduire l’administration à suspendre l’instruction de ce dossier dans l’attente de la transmission de la pièce manquante. Si la pièce fait toujours défaut au moment de la décision d’attribution du droit concerné, cette attribution n’est effective qu’après la réception par l’administration de cette pièce. Le présent article ne s’applique pas dans le cas où la pièce manquante est indispensable à l’administration pour instruire valablement le dossier.
Nouveauté par rapport à notre premier article sur ESSOC
Surtout, la loi ESSOC prépare une modification du Code de la construction calquée sur le permis d’expérimenter. On rappelle la définition : si le résultat est identique ou même meilleur en sautant par-dessus une ou plusieurs règles, alors il sera validé. En élargissant cette expérimentation, les règles de construction pourront être revues dans cette optique, c’est-à-dire que le principe de résultat va primer le principe de moyen.
Du moment que votre ouvrage terminé ou en cours de construction correspond au cahier des charges, ou est satisfaisant pour le maître d’ouvrage, alors la façon de le réaliser peut s’affranchir de certaines règles. La fin justifie les moyens, c’est le principe de la loi. On le voit, le but est de « faire plus vite », autrement dit « moins cher ». Et là on retombe un peu dans la polémique de la loi ELAN (voir notre article à ce sujet).
Cette partie de la loi est aussi la reconnaissance par l’administration que tout ne se fait pas dans le respect absolu des normes, sur les chantiers. Il n’y a pas un inspecteur de l’Etat derrière chaque ouvrage… Cet élargissement de l’ordonnance du permis d’expérimenter sera effectif en 2019-2020, dans les 18 mois qui suivent la promulgation de la loi d’août 2018. On verra plus loin pourquoi ce délai important. La première ordonnance (publiée le 31 octobre 2018) concerne l’expérimentation, la seconde annule la première ordonnance et fixe la loi.
Un exemple de changement concret avec la loi ESSOC : l’article 26 bis
Le cas est développé sur le site gouvernemental :
Le maître d’ouvrage d’un projet de développement du territoire se heurte à une multitude de guichets d’instruction au sein de l’administration dans le département pour un projet d’aménagement donné : autorisations au titre de la loi sur l’eau, de dérogation à la destruction des espèces protégées, de l’urbanisme, enquête publique, déclaration d’utilité publique, défrichement forestier, Natura 2000, évaluation environnementale, etc sont autant de procédures multiples en silo qui découragent les porteurs de projets et dispersent les moyens de l’État.
Dans ce cas, le représentant de l’État pour le département ou la région désignera un référent unique pour le maître d’ouvrage et devra réunir toutes les procédures administratives sous un guichet unique. Ce sont donc les administrations locales qui vont porter le poids du changement. Elles devront s’adapter progressivement à l’esprit de la loi.
Comment fonctionnera précisément le permis de faire ?
Vu que la chose est encore théorique, et pour cause, il faut un retour sur résultat, l’ordonnance II n’étant par définition pas prête (avant le 10 février 2020), nous avons été extraire une explication technique sur le site de la Cohésion des territoires, dont l’ancêtre est l’Aménagement du territoire.
On reprend : le maître d’ouvrage pourra appliquer une solution innovante si le résultat est le même ou s’il est meilleur que par la procédure classique. Mais qui va contrôler tout le processus et surtout valider la « solution » et ce, avant même de commencer les travaux ? Des laboratoires reconnus par l’Etat nous dit le site ministériel, des bureaux d’études qualifiés ou des contrôleurs techniques agréés, ces derniers intervenant aussi pendant l’exécution des travaux. Un fois ces résultats acquis sur tout le territoire, à partir des régions test, le livre I du CCH (Code de construction et de l’habitat) pourra être réécrit.
On souhaite bonne chance aux rédacteurs en passant. Pour information, c’est le CSCEE (Conseil supérieur de la construction et de l’efficacité énergétique) qui s’attelle à la tâche depuis avril 2018. Petit rappel de l’objectif, qui cadre avec notre analyse : la démarche de simplification est censée donner « plus de liberté aux professionnels afin d’accélérer la construction sans transiger sur la qualité des bâtiments ». C’est évidemment le croisement entre « accélérer » et « sans transiger » qui fait débat, mais ce n’est pas le thème du jour.
Un pari osé
Il s’agit donc d’un pari car c’est avant le dépôt de l’autorisation d’urbanisme [la collectivité territoriale vérifie la conformité des travaux par rapport aux règles d’urbanisme] que les dispositions techniques et architecturales devront être recensées puis étudiées, détaille le site des Cahiers techniques du bâtiment.
Un organisme indépendant, désigné par décret, atteste alors auprès de l’autorité compétente au moment du dépôt de l’autorisation d’urbanisme du caractère équivalent des résultats obtenus par les moyens retenus et du caractère innovant des moyens. Le dit organisme valide également les conditions de mise en œuvre des moyens au cours de l’exécution et les conditions d’exploitation et de maintenance du bâtiment. Les modalités seront précisées dans les deux décrets en conseil d’État à venir. Ensuite, lors de l’exécution des travaux, un contrôleur technique agréé vérifie la bonne mise en œuvre des moyens. À l’achèvement, ce dernier l’atteste auprès de l’autorité compétente.
Le gouvernement se laisse encore un an – entre les deux ordonnances de la loi, la seconde annulant la première – pour estimer les résultats de l’expérience en matière d’innovation. C’est le temps nécessaire entre le dépôt des autorisations d’urbanisme et le contrôle des résultats de l’expérience, c’est-à-dire après la fin des travaux. Le Code de la construction, qui vient de fêter ses 40 ans, est établi selon une logique de moyens et toute la difficulté du législateur est de le faire passer en douce à une logique de résultats. D’où l’expérimentation en cours.
La Loi ESSOC, qui simplifie les relations entre l’administration et les personnes physiques ou morales, devient ici très ambitieuse. Les maîtres d’ouvrage qui font ou feront l’expérience du « permis de faire » ont une grosse charge sur le dos. Mais cela permet aux acteurs du marché d’axer leurs dossiers sur des innovations techniques et architecturales. C’est en tout cas ce que souhaite le Président en exercice.
Les domaines concernés par les dérogations aux règles rendues possibles par ESSOC (Cahiers techniques du bâtiment)
Perspectives et réalités
Aux dernières nouvelles, le délai de 18 mois qui court depuis août 2018 à partir de la première ordonnance pourrait être reporté à 24 mois.
On rappelle que la loi LCAP avait déjà instauré un « permis de faire » en 2016, mais il avait manqué… les décrets d’application. Chez les architectes, on est dubitatif. Christine Leconte, présidente de l’Ordre des architectes de l’Île-de-France, se montre critique :
« L’innovation est une notion complexe qui dépasse le cadre de la réglementation et de la norme. Elle doit s’inscrire dans une logique de rupture avec plus de matière grise pour moins de matière première. Or, la loi Essoc entend desserrer l’étau normatif, mais sans fixer d’objectifs pour l’instant. »
Philippe Estingoy, directeur général de l’Agence qualité construction (AQC), cité par batiactu.com :
« Je partage l’ambition de cette loi qui souhaite substituer un objectif de résultat à l’objectif de moyens. Toutefois, je ne crois pas que nous serons prêts pour l’ordonnance 2. Nous ne pouvons pas faire les choses proprement dans ce délai. »
Et, d’après lui, cela sera d’autant plus vrai en matière d’incendie, sujet particulièrement complexe.
« L’une des difficultés c’est que le résultat de l’expérimentation viendra très tard. Nous pouvons démontrer sur le papier que l’on va atteindre un objectif de résultat ; mais pourra-t-on faire le constat qu’on l’a réellement atteint ? »
Toute expérience est un peu floue par nature. Il reste à espérer que l’innovation voulue par le législateur ne soit pas synonyme uniquement d’accélération. Car si certaines règles ou normes ralentissent le processus de construction, la plupart lui confèrent ce qu’on appelle la qualité. La question devient : la qualité souffrira-t-elle de la loi ESSOC ? Le permis de faire est-il un permis de faire vite ?
Premières réponses dans un an, en février 2020.