On a simplifié la loi ESSOC… de simplification de la relation entre l’Etat et les administrés

L’État simplifie vos démarches administratives et vous rend la vie plus facile »
(Slogan officiel)

 

Qu’est-ce que la loi ESSOC ? C’est la loi pour un « Etat au service d’une société de confiance ». On sent que ça a brainstormé en haut lieu pour trouver cet acronyme entre la multinationale du pétrole ESSO, essor, et essorage. Trêve de plaisanterie, le gouvernement a sorti de sa botte magique une énième loi de simplification des services publics. Vaut-elle mieux que les précédentes ?

On constate depuis plusieurs articles relatifs à cette simplification administrative sur Libel que là encore le syndrome « millefeuille » frappe : plus on veut simplifier, plus ça se complique. Mais cette loi naturelle déprimante n’a pas eu l’heur de freiner les velléités gouvernementales qui, le 10 août de cette année, ont fait voter par l’Assemblée un nouveau train de règles qui tient sur deux rails : « faire confiance » et « faire simple ». Il faut qu’entre les usagers, particuliers ou professionnels, et l’Administration, ou les administrations, les choses se fassent plus vite et plus simplement.

On a déjà parlé dématérialisation et signature électronique ici, qui ne vont pas sans poser de nouveaux problèmes. Cependant, l’effort d’ESSOC est louable : une partie des Français étouffe sous les contraintes administratives et le mot d’ordre macronien est « plus d’efficacité ».

Voyons voir ce qui figure dans cette loi.

Il ne s’agit pas seulement d’admettre la bonne foi du citoyen essayant d’assumer la complexité des normes et des procédures mais, plus généralement, de construire un Etat conscient de son coût, usant à bon escient de ses prérogatives, et œuvrant tout entier à seconder la vie sociale et favoriser son épanouissement : un Etat au service d’une société de confiance. »
(Gérald Darmanin, ministre de l’Action publique)

 

 

Droit à l’erreur

La première des avancées concerne le droit à l’erreur consenti aux usagers. La sanction ne sera pas directe en cas d’erreur matérielle lors d’un renseignement si elle est suivie d’une rectification avant ou après contrôle. C’est le concept de seconde chance, qui est déjà appliqué dans les collèges difficiles de banlieue : si l’erreur est faite « de bonne foi » par l’usager, elle ne donne pas lieu aux sanctions habituelles, comme dans les déclarations fiscales douteuses : relances, menaces, pénalités. Une façon de faire qui n’a pas vraiment amélioré l’état des relations entre les Français et leur administration.

Et pour les architectes ?

Mais regardons plus précisément les effets d’ESSOC sur le Code de l’urbanisme et la Loi relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine, ce qui nous intéresse au premier chef. La loi LCAP, datant de juillet 2016, a pour objectif de « protéger et garantir la liberté de création et à moderniser la protection du patrimoine culturel ». Elle revalorise le statut de l’architecte en abaissant le seuil au-delà duquel le recours à ses talents est obligatoire (de 170 à 150 m2) et en instaurant un « permis d’expérimenter » ou « permis de faire » (article 88). Une concession aux architectes qui contestaient les objectifs à peine cachés de la loi ELAN, c’est-à-dire construire plus vite et moins cher en se passant éventuellement d’un archi ?

 

 

Il s’agit d’une simplification acceptable de normes par trop contraignantes (en matière de sécurité incendie, acoustique, thermique…), simplification destinée à libérer la créativité des architectes et de leurs projets. En gros, le mot d’ordre à la profession c’est « éclatez-vous », le patrimoine national en tirera bénéfice. Le permis de faire est une liberté de faire autrement en s’affranchissant un peu du Code de la construction et de l’habitat (CCH) qui est bourré de règles qui mènent à une standardisation mortelle pour l’innovation.

La loi ESSOC élargira la loi LCAP aux autres projets pas forcément culturels ou patrimoniaux.

Le nouveau texte sur le « permis d’expérimenter » reprend l’ambition initiale, en élargissant le champ des dérogations à l’ensemble des réglementations techniques et pour l’ensemble des maîtres d’ouvrages, qu’ils soient publics ou privés. »
(Source : batiactu.com)

Traduction : plus de souplesse pour les intervenants, mais en respectant les règles de base de la construction. Le fameux Code de construction est, on le voit, en cours de remodelage sur 120 de ses pages. La nouvelle loi prévoit un éventail de dérogations qui vont dans le sens du « plus vite et moins cher » de la loi ELAN. Désormais, l’objectif de résultats primera sur l’objectif de moyens. Les solutions alternatives qui vont sortir de la loi LCAP doivent déboucher sur plus d’innovation avec un carcan moins étouffant sans faire aucune concession à la sécurité des personnes.

Hormis cet assouplissement expérimental, la loi ESSOC contient plusieurs améliorations qui touchent à l’information du grand public. Ce dernier sera par exemple consulté par le moyen d’un vote électronique, ce qui remplacera la traditionnelle enquête publique pour les projets environnementaux ICPE et IOTA (Installation classée pour la protection de l’environnement et Installations, ouvrages, travaux et aménagements, soumis à autorisation ou à déclaration). Il y aura désormais pour ces projets une autorisation environnementale unique pour tout le territoire, après là aussi quelques expérimentations départementales qui ont été effectuées sous le règne de François Hollande.

On le voit, ESSOC part un peu dans tous les sens, mais l’esprit de la loi est de réconcilier les Français avec leur administration.

Maintenant, entrons dans le dur avec la procédure de rescrit.

Un rescrit (du latin rescriptum, de rescribere, récrire) est un acte administratif donné par écrit (d’où son nom) par une autorité dans son domaine de compétence propre, qui fournit une réponse à une question écrite, posée par une personne (physique ou morale), et détaillant le contexte et les conditions précises du problème évoqué. »
(Wikipédia)

Le rescrit est en fait une prise de position (écrite) de l’administration qui lui est opposable par un usager, particulier ou entreprise. Les plus courageux trouveront sur le blog de cet avocat un développement précis des différents rescrits. Mais il faut s’accrocher.

Le rescrit qui nous intéresse est celui dit d’urbanisme. Il focalise sur la réponse que l’Etat doit apporter, dans les trois mois, aux projets de plus de 50 000 m2 de surface taxable et de surface de construction. Au-delà de ce délai, les solutions apportées par le contribuable sont opposables à l’administration. C’est un peu compliqué mais ça force l’administration centrale à sortir de sa tanière et à assumer ses réponses ou ses non-réponses. C’est, de la part du gouvernement actuel libéral, un coup de fouet donné aux fonctionnaires en charge de ces questions d’urbanisme précises, ici le versement pour sous-densité, destiné à économiser l’espace et à lutter contre l’étalement urbain.

Exactement comme pour la dématérialisation du permis de construire qui est tacitement autorisé si la mairie ne répond pas dans les deux mois, une non-réponse de l’Etat équivaut à valider l’interprétation du demandeur. On le voit, la loi ESSOC rééquilibre un peu les forces entre administration et usagers, si toutefois ces derniers sont de bonne foi.

Nous n’irons pas plus dans le détail car des problèmes se posent entre la décision de l’Etat et les droits des collectivités locales en matière d’urbanisme, qui ne sont pas toujours très raccord. Cela nous entraînerait trop loin. Gardons à l’esprit que la loi ESSOC (re)donne un petit peu de pouvoir à l’usager, personne physique ou morale, en responsabilisant un peu plus l’administration qui lui fait face, histoire de détendre le rapport entre les deux. Car, comme dirait l’autre, l’Etat est fait pour l’usager et non l’usager pour l’Etat. Ce qui avait peut-être été légèrement oublié ces dernières décennies dans un pays où l’Etat centralisé reste fort…