Autorisation d’urbanisme et dématérialisation : késaco ?

L’autorisation d’urbanisme est une démarche qui consiste, pour un administré, à déposer un permis de construire à la mairie. Pour les petits travaux d’aménagement, l’autorisation communale n’est pas nécessaire. Une déclaration préalable le devient quand le pouvoir public doit vérifier que la construction respecte les règles d’urbanisme. Mais le permis de construire, lui, est obligatoire pour toutes les constructions neuves ou pour des travaux importants qui modifient la surface et la hauteur de la construction existante.

Auparavant, le dépôt se faisait physiquement à la mairie par le formulaire CERFA. Dans le cadre de la modernisation de l’action publique (modernisation qui commence à prendre de l’âge puisqu’elle va sur ses 30 ans), les collectivités locales doivent désormais recevoir en ligne les permis de construire et les déclarations d’intention d’aliéner (DIA des notaires). En deux mots, la DIA est l’obligation pour un propriétaire dont le bien immobilier est situé dans une zone de préemption d’informer la commune avant de vendre afin d’obtenir une « déclaration d’intention d’aliéner un bien ».


Concrètement, et pour sortir du jargon des notaires, c’est proposer le bien à la commune ou à la collectivité en premier. Si ça n’intéresse pas ces dernières, le bien peut être vendu ailleurs. Le propriétaire est alors libre de vendre à qui bon lui semble. En général, quand la commune achète, elle propose un prix inférieur à celui que le proprio attendait. Si la négociation n’aboutit pas à un accord, le différend se règle devant le juge, qui fixe le prix définitif. Après ce petit détour par le monde notarial, revenons au permis de construire.

Notons que le gouvernement Valls, dans son décret du 7 novembre 2016, autorisait déjà les usagers à saisir l’administration par voie électronique.

Le problème, car il y a toujours un problème en France, c’est que les administrations locales ne sont pas toutes préparées à cette nouvelle forme de réception. Le gouvernement Philippe avait fixé au 8 novembre 2018 le top départ de cette « modernisation ». Oui mais il y a Paris, et le pays profond. Du coup, les remontées n’étant pas très encourageantes en haut lieu, la nouvelle date de l’obligation de dématérialiser la démarche a été repoussée au 1er janvier… 2022. D’ici là, on a le temps de voir venir.

Les « grandes » communes, dont le seuil n’est pas encore fixé, pourront évidemment proposer cette dématérialisation avant la date butoir. Mounir Mahjoubi, avant le dernier chamboulement ministériel, était en charge du Numérique et des « démarches simplifiées ». Une excellente réforme mais qui se heurte à deux ou trois problèmes de poids : d’abord, la signature électronique. Le procédé, théoriquement en vigueur dans le cadre des marchés publics, pourrait faire l’objet de quelques détournements, comme ces enfants coquins qui signent leurs interros foirées à la place de leurs parents. Le parallèle n’est pas anodin : la dématérialisation entre l’administration et les administrés crée une distance qui peut être exploitée à des fins légèrement illégales. Tout s’imite, et surtout électroniquement, même si la signature électronique présente toutes les garanties.

Le site droit-urbanisme-et-amenagement.efe.fr imagine une autre source de problèmes, au cas où l’administration ne serait pas capable de répondre dans les délais impartis à la demande d’autorisation d’urbanisme. Le site les rappelle : deux mois pour les maisons individuelles et trois mois pour les autres bâtiments. Si en plus la demande électronique n’est pas parfaitement formulée et que l’administration ne bouge pas, au bout de deux mois, cela peut déboucher sur des permis dits tacites.

Ainsi, la dématérialisation fait économiser pas mal de temps et de paperasse, mais crée des problèmes inédits. Ce permis tacite n’est pas illégal : par sa passivité, l’administration autorise en quelque sorte en creux la demande de construction déposée par l’administré (article R 424-1 du Code de l’urbanisme).

Ce genre de vide juridique peut là encore déboucher sur des conflits en cas de permis tacite, par exemple sur une irrégularité constatée lors de la construction. Même en cas de permis explicite, donc signé, les accidents sont possibles : on pense aux constructions juteuses en bord de la mer ou dans le lit de rivières à crues. Le schéma est simple : la mairie accorde des permis de construire en zone inondable, les maisons se construisent, les impôts locaux et fonciers rentrent, tout va bien pour toutes les parties, le pari à risque est gagné, jusqu’à ce qu’il y ait inondation, et des morts comme le 28 février 2010 à La-Faute-sur-Mer (29 victimes).

 

« Eu égard à l’importance des risques sus-évoqués, le maire de La Faute-sur-Mer a commis une erreur manifeste d’appréciation en délivrant le permis tacite contesté » dira le jugement de ce procès fleuve.

 

L’annulation de permis de construire tacitement accordé existe mais là encore, on entre dans les méandres du droit. L’administration peut en effet rendre une décision de retrait, donc un refus de permis de construire, après son autorisation tacite. Tous les recours, surtout du côté de l’administration, sont toujours possibles, en respectant toutefois les délais légaux. L’usager peut ainsi saisir le juge administratif pour demander l’annulation… de l’annulation du permis de construire.