Le BIM : révolution d’avenir ou gadget américain ?
Le BIM n’est pas nouveau : on en parle en France depuis 10 ans, plus précisément depuis 3 ans, et les pays anglo-saxons l’ont adopté depuis 40 ans déjà. Le BIM partage la communauté des architectes, révélant des lignes de failles qui ne sont pas nouvelles non plus, notamment entre les gros cabinets et les petites structures à taille humaine.
Pour les uns, le BIM est la solution miracle, l’avenir de la profession, la haute technologie au service de l’humain et de la construction, le moyen de revaloriser le rôle de l’architecte, bref, la panacée.
Pour les autres, qui ont aussi leurs arguments, ce n’est qu’un élixir de bonne aventure, un objet qui va accentuer le fossé numérique, un investissement aussi lourd que douteux. Un piège dans lequel la France ne doit pas tomber, elle qui compte encore sur la créativité humaine et le travail collectif sans passer par un outil superficiel.
Vous l’aurez compris, le BIM partage, mais il a l’avantage de révéler des visions des choses différentes et donc des conflits agitant la profession, une sorte de lutte des classes dans le milieu.
Au fait, on parle du BIM, mais qu’est-ce que c’est, à quoi ça sert et pourquoi ça génère une telle polémique ?
D’abord, la définition officielle de l’Ordre des architectes :
« Le BIM est un processus de gestion collaboratif du projet reposant sur les échanges et l’enrichissement de la maquette numérique par les acteurs du projet. »
Et celle de Wikipédia :
« Le BIM, acronyme de Building Information Model, est la représentation géométrique d’un bâtiment en 3D, réalisée sur ordinateur en vue de l’analyser, de le contrôler et d’en simuler certains comportements. Le BIM est donc un ensemble structuré d’informations sur un bâtiment, existant ou en projet. Il contient les objets composant le bâtiment, leurs caractéristiques et les relations entre ces objets. Ainsi, la composition détaillée d’un mur, la localisation d’un équipement ou d’un élément de mobilier dans une pièce, font partie du BIM. Ces informations complètent la description purement géométrique de la forme du bâtiment, produites par certains logiciels. »
Building Image Modeling, disent nos amis américains, inventeurs de l’acronyme. Soit une modélisation d’un projet en 3D dans sa conception, qui contient toutes les informations relatives au projet et qui permet d’avoir une idée précise de ses possibles évolutions. Le BIM, concrètement, est un fichier évolutif unique permettant de visualiser la construction en cours, de manière globale ou détaillée, entière ou par morceaux, en mode promenade et à 360°. Surtout, il constitue l’élément central de toutes les parties professionnelles concernées, qui peuvent alors travailler conjointement en sautant de nombreux allers-retours, émiettements (les infos relatives à un bâtiment sont saisies en moyenne 7 fois) ou malentendus qui sont autant de facteurs d’erreurs (le coût annuel des incohérences se monte à 10 milliards par an en France, selon Wikipédia) ou de ralentissements dans la réalisation : maître d’ouvrage, maître d’œuvre, ingénieur, entreprise de construction…
Et puis le BIM ça plaît au maître d’ouvrage.
Une démo ici de la plateforme :
Plus qu’un outil, le BIM est donc un système d’information qui favorise le travail collaboratif, au sein d’une agence d’architecte et en dehors avec les acteurs du projet. Les pro-BIM avancent que ce processus va replacer l’architecte au centre du débat, et lui redonner le rôle ou le pouvoir qu’il aurait perdu au profit, par exemple, des ingénieurs. Des ingénieurs qui pensent plutôt coût que conception. Et ne parlons pas d’artistique… De plus en plus de marchés échappent ainsi aux architectes qui voient les « missions » de conception-réalisation les évincer.
Cependant, le BIM ne se fait pas tout seul et n’est pas à la portée de tout le monde. On doit se former « fastidieusement » (10 000 euros de budget minimum pour former un « Bimeur » et 18 mois pour le rendre productif) ou s’acheter les services d’un « BIM manager » issu de la construction ou de l’ingénierie, ce qui n’est pas à la portée de toutes les bourses. On rappelle que les rentrées moyennes de l’architecte français sont déjà ric rac, et qu’un investissement de cette taille est forcément à haut risque. Le BIM ne serait donc que l’apanage des grosses agences ?
Les critiques du BIM avancent le fait que les petites agences – qui font en majorité (80% des commandes) dans la réhabilitation – n’en ont pas besoin, car le BIM est destiné au neuf. Et puis le co-working, le workshop ou le travail collaboratif n’ont pas attendu le BIM pour exister. Un système virtuel, aussi efficace soit-il, ne remplace pas la relation humaine. Pour les adeptes du travail à l’ancienne, le BIM n’est qu’un moyen pour les grandes agences ou les majors du BTP d’affamer ou d’affaiblir les petites en creusant le fossé technologique entre elles. C’est donc un enjeu de pouvoir, et beaucoup l’ont compris comme tel : si on ne se « bime » pas, on est largué. Et si on se « bime », ça va coûter cher et ça ne sera pas opérationnel avant longtemps. Beaucoup préfèrent – mais ont-ils le choix – garder les « vieux » process qui ont fait leurs preuves.
Pour réconcilier les deux parties, nous dirons que le BIM, dans les faits, existe déjà, car les outils de modélisation 3D se sont démocratisés et le travail collaboratif a suivi. Le BIM n’est donc qu’une sorte d’officialisation de ces pratiques courantes. Rien de révolutionnaire, si ce n’est que le BIM intervient dès la phase initiale de conception. Le travail collaboratif existe sans l’outil informatique, puisqu’il existait à l’époque du dessin, soit avant même la 3D. Et inversement : la 3D peut se passer du travail collaboratif. Le BIM cimente ces deux aspects du travail (en ajoutant l’exploitation de la base de données) et les rend théoriquement plus efficients grâce à une synergie cohérente car unique.
Ici une vidéo (on l’espère non publicitaire) d’un responsable Développement chez Autodesk, qui commercialise des outils similaires depuis le début des années 2000 :
Le grand argument pour convaincre les réticents est le suivant : « grâce au BIM, vous allez retrouver le pouvoir que les entreprises et les ingénieurs vous ont pris ». Il est vrai que ce sont les architectes qui sont les plus qualifiés pour se servir de cet outil, étant donné qu’ils sont par définition à la base de toute conception. La « maîtrise » d’œuvre reprend alors bien tout son sens :
« L’agence d’architecture qui s’équipe de technologie pour produire une maquette numérique fait un choix stratégique : elle produit la représentation 3D du projet en vue de la traçabilité de tout son cycle de vie, de sa conception à son éventuelle démolition. Cette base de données a vocation à être partagée par les différents acteurs de la construction puis par les propriétaires du bâtiment. Une mission qui peut être encore investie par l’architecte – à condition qu’il s’en saisisse – avant que promoteurs et industriels équipés du Building Information Modeling (BIM) empiètent sur une partie de son rôle de prescription en imposant leurs vues. » (Source : Architecture Mouvement Continuité)
Ceci dit, adopté ou pas, le BIM est en train de bousculer le milieu, et personne ne sait jusqu’où ce petit tremblement de terre peut aller. Certains prédisent une refonte complète du mode d’études du projet architectural et les relations entre les acteurs du milieu en sont déjà altérées. Alors, le BIM va-t-il réconcilier ingénieurs et architectes ? Concepteurs et constructeurs ?
Pour cela, il faudra changer ses habitudes : une fois absorbée, la « bimisation » offre un gain de coût et de vitesse bien réel car toute modification d’élément est rapidement intégrable dans le modèle en 3D. Mais attention : quand on touche à un élément, tout le reste bouge. Et puis il y a un risque de formatage avec un outil unique pour tout le monde : que reste-t-il de l’humain et de sa créativité là-dedans ? Certains parlent déjà de « taylorisme de l’architecture » et d’avantages mis en avant uniquement quantitatifs (coût, temps).
Pour sortir de toutes les polémiques – même si un débat n’est jamais inutile –, on constate que le BIM s’intègre dans un ensemble plus grand qui est celui de la transition numérique du bâtiment. Il y a 20 ans, un président de la République avait popularisé l’expression de « fracture numérique » entre les Français : il s’agissait de ceux qui avaient accès à l’Internet et de ceux qui en étaient privés, par ignorance ou par connexion. Aujourd’hui, il faut dire la vérité, la plupart des agences (les trois-quarts comptent moins de 5 salariés) n’ont pas accès au BIM qui demande un double investissement en matériel puis en formation et ce, dans un univers où les revenus des architectes baissent pour des responsabilités en hausse ! Une pince qui ne permet pas de faire des folies ou de prendre des risques.
De plus, une agence « bimée » ne peut pas forcément faire porter la lourdeur de l’investissement d’une « bimisation » à ses clients vu les prix déjà plus que serrés du marché. On le voit, le retour sur investissement est aléatoire. Les éditeurs de logiciels eux, se frottent les mains de cette évolution/révolution. Des architectes accusent déjà les majors de la construction de vouloir se délester de cette partie pas forcément rentable ou alors très complexe de la modélisation au « profit » d’agences qui n’en ont peut-être pas les épaules et à des architectes qui perdraient une partie de leur créativité pour se transformer en « techniciens informatiques ».
Alors, le BIM, salut de l’architecte ou bénef pour le gros business ? L’avenir nous le dira.